1821
Pour aller de Delphes à Olympie, il faut franchir le golfe de Corinthe, un bras de mer qui sépare le Péloponnèse du reste de la Grèce. Fort heureusement, il y a maintenant un pont en face de Patras. Bien peu s'imaginent que c'est quelque part sous ce pont qu'a eu lieu en 1571 la fameuse (enfin, pas fameuse pour tout le monde si j'en crois nos passagères bachelières) bataille de Lépante, premier coup d'arrêt à l'expansion ottomane, où un certain Miguel de Cervantès perdit l'usage de la main gauche. Heureusement il était droitier ce qui lui permit plus tard d'écrire Don Quichotte.
Nous laissons Missolonghi sur la rive nord. Mais au fait c'est quoi Missolonghi? C'est plus au programme? Tant pis, vous aurez quand même cours d'histoire aujourd'hui. Au diable les programmes et les programmateurs!
La Grèce antique est morte, ça c'est sûr, du moins en Grèce. Parce qu'ailleurs dans le monde beaucoup d'intellectuels ont cru, et peut-être y en a t'il même qui croient encore, que les grecs d'aujourd'hui sont les dignes héritiers de Socrate, de Phidias et de Périclès. Et pourquoi pas de Léonidas? Mais pour celui là beaucoup pensent qu'il s'est reconverti dans le chocolat, surtout les Belges.
La date du décès est incertaine. Etait-ce en -338 quand le jeune Alexandre, pas encore grand, a soumis les cités grecques pour le compte de son père Philippe de Macédoine? Etais-ce en +313 quand l'empereur Constantin, par sa conversion au christianisme ouvrit la voie aux talibans chrétiens pour qu'ils détruisent ce qu'il restait du paganisme antique. Ce qui est certain, c'est que la Grèce devenue conquérante s'est diluée dans la première mondialisation de l'histoire puis a perdu son âme en se vautrant dans la bigoterie orthodoxe.
Après mille ans d'empire Byzantin et quatre siècles de domination turque, le tout entrecoupé d'occupations vénitiennes, franques ou bulgares, toute la Grèce s'est soulevée fin mars 1821. Ce bicentenaire aurait sans doute été fêté en grande pompe si le covid n'avait pas gâché la fête.
La révolte avait sans doute été préparée de l'extérieur. Tous les états européens avaient intérêt à voir s'affaiblir l'empire ottoman, en premier lieu la Russie. La maitrise des détroits qui mènent de la Mer Noire à la Méditerranée a toujours été un but de guerre depuis la guerre de Troie jusqu'à la bataille des Dardanelles en 1915. L'Angleterre avait déjà récupéré les iles ioniennes. L'opinion publique européenne, enfin les intellectuels romantiques, était favorable aux Grecs, idéalisés en défenseurs de la liberté.
C'est l'église orthodoxe qui donna le signal, en la personne de l'archevèque de Patras, appelant à la guerre sainte. Des centaines de turcs furent massacrés, ce à quoi le Sultan répliqua en faisant massacrer des milliers de Grecs. Au début les Grecs furent vainqueurs. Leurs troupes étaient surtout composées de bandits de grands chemins reconvertis en héros de la liberté. Je me souviens encore du nom des chefs de l'insurrection, appris par cœur au lycée, il y a cinquante-cinq ans, au temps ou on apprenait l'histoire: Mavrocordato, Kolokotronis et Miaoulis.
Et Missolonghi dans tout ça? Missolonghi, c'est une ville juste en face de Patras avec un fort qui défend l'entrée du golfe de Corinthe. Le 20 mai 1821, la population prend le fort presque sans combat. Les turcs reviennent en 1822 et 1823 et à chaque fois sont repoussés. Lord Byron, figure emblématique des romantiques, sorte de BHL du XIX ème siècle, vient combattre aux côtés des insurgés, attrape la malaria et meurt en 1824 sans avoir tiré un coup de fusil. En 1825, trente mille Turcs débarquent, suivis de dix mille Egyptiens. Après un an de siège, les défenseurs tentent une sortie héroïque, se font massacrer et en se repliant font sauter leurs réserves de poudre, s'ensevelissant avec leurs assaillants sous les décombres du fort. Pour se venger, les Turcs massacrent la population. Trois mille têtes coupées sont exposées sur ce qui reste des remparts. Cet évènement aura un énorme retentissement en Europe. Victor Hugo écrit:
« Frères, Missolonghi fumante nous réclame,
Les Turcs ont investi ses remparts généreux.
Renvoyons leurs vaisseaux à leurs villes lointaines.
Missolonghi ! - Les Turcs ! Chassons, ô camarades,
Leurs canons de ses forts, leur flotte de ses rades »
En 1827, les états européens envoient une flotte coalisée pour impressionner les Turcs. Une rencontre inopinée fait que la bataille s'engage. La flotte turque est totalement détruite à Navarin. La Turquie reconnaitra l'indépendance de la Grèce en 1830.
Nous n'irons pas à Missolonghi. Il n'y a plus rien à voir, juste des souvenirs.