Voyage au temps de la grande peste
Que faisiez vous au temps chaud ?
Je voyageais ne vous déplaise
Vous voyagiez, j'en suis fort aise,
Eh bien, pass sanitaire maintenant!
Profitant de l'éclaircie vaccinale, nous avons fini par le faire ce voyage en Grèce promis depuis avril 2020! Ce n'est pas ce satané virus qui allait m'empêcher de faire partager à mes petits enfants la réalité charnelle de ce bout de terre, berceau de notre civilisation déjà sur le déclin. Comment sans avoir vu de ses yeux les montagnes couvertes de champs d'oliviers surplombant la mer si bleue comprendre les vers d'Alfred de Musset:
Grèce, ô mère des arts ! terre d’idolâtrie,
De mes vœux insensés éternelle patrie,
J’étais né pour ces temps où les fleurs de ton front
Couronnaient dans les mers l’azur de l’Hellespont.
Je suis un citoyen de tes siècles antiques ;
Mon âme, avec l’abeille, erre sous tes portiques.
En temps normal, voyager avec 4 ados n'est pas une sinécure, mais par temps de covid c'est le parcours du combattant et les difficultés ne sont pas toujours où on les attend! Déjà, organiser! Personne ne peut garantir que le voyage sera possible. Les fonctionnaires français ont cessé de fonctionner depuis un an et demi. Les agences de voyage sont fermées quand elles ne sont pas en faillite. Quand on a trouvé les hôtels et la voiture pour 6, il n'y a plus de place sur ces dates pour les vols. Quand on change la date des vols, on n'a plus de voiture. Et enfin tout s'arrange mais on n'est sûr de rien. Et puis il y a la date de l'oral du bac et puis celle de l'oral de français. A côté de ça les vaccins et les tests, c'est les doigts dans le nez. (enfin juste le goupillon pour les tests)
Départ de Brest, arrivée à Athènes via Roissy. Tout s'emmanche à merveille. A Athènes, le comité d'accueil est sévère mais juste. Contrôle des ausweis, questionnaire compliqué à remplir et un petit test surprise, juste pour le plaisir. Au moins on ne peut pas dire que ce n'est pas sérieux! Premier problème, il manque une valise(égarée à Roissy comme par hasard) Pour la déclaration d'abord trouver le guichet, mais on n'est pas les seuls. La queue est longue. Et l'agence qui appelle pour la voiture: Vous êtes bien arrivés? Oui, merci, mais ça risque d'être un peu long. C'est très long et elle me rappelle de temps en temps pour me signaler qu'elle n'a pas que ça à faire. Désolé, mais je ne peux confier à personne le soin de faire la déclaration, vu que avec le niveau du bac 2021 je ne suis pas sûr que nos bachelières aient une maitrise de la langue de Shakespeare suffisante. Avec mon bac arraché en 68 je ne valais sans doute pas mieux à leur âge, mais depuis j'ai voyagé et les voyages forment la jeunesse, et on est justement là pour ça. Finalement on arrive porte 5 et là il n'y a pas de voiture. Au téléphone c'est le quiproquo total entre la secrétaire qui est à son bureau quelque part très loin et nous qui sommes porte 5. FIVE! Enfin j'explique mon cas en anglais à un policier qui comprend tout. Il prend mon téléphone et il explique en grec que nous attendons porte 5. Et miracle! Une navette vient nous chercher et le chauffeur nous confirme que ce n'était pas du tout là le point de rendez-vous et qu'il ne faut pas croire tout ce qui est écrit sur les contrats !
A l'agence de location, perdue dans une banlieue paumée, la secrétaire tique un peu sur mon permis de conduire. J'ai beau lui expliquer que je conduisais déjà avant la naissance de sa mère, je sens qu'elle a peur que je lui rende la voiture dans le même état que ce bout de papier qui traine dans ma poche depuis les années soixante, tout plié et chiffonné avec ma photo en premier communiant. Finalement, avec un petit supplément pour chauffeur de plus de soixante-dix ans tout finit par s'arranger. Et nous découvrons la superbe automobile qu'on nous a réservée. Pas du tout celle qui était prévue sur le contrat! Beaucoup mieux, mais automatique. Or je n'ai jamais rien conduit avec une boite automatique, sauf une tondeuse à gazon.
"- Mais c'est plus facile à conduire" insiste t'elle avec un sourire commercial. Je m'installe, j'appuie sur le bouton comme indiqué au tableau de bord, et rien ne se passe. Je lui cède ma place et reflop. Elle appelle le chauffeur de la navette qui doit aussi être le mécanicien-nettoyeur de vitres-passeur d'aspirateur et à l'occasion décabosseur. Après avoir manipulé tous les boutons, finalement ça démarre. Alors il m'explique: sur les sept positions de ce qui remplace le levier de vitesses, il y en a quatre qui ne servent à rien! Le constructeur a mis ça juste pour faire joli. Il y en a trois à utiliser: frein à main, avant, arrière, et basta! Malheureusement les positions utiles sont dispersées de façon aléatoire au milieu des autres. Ca promet!
Je demande aussi pour le GPS. Il n'y en a pas! Bizarre sur une voiture neuve, mais enfin tant pis, on fera avec un téléphone.
Je passe l'examen du permis de conduire avec boite automatique dans le centre d'Athènes à l'heure de pointe. ( Mais à Athènes, c'est toute la journée l'heure de pointe.) En fait il y avait bien un GPS, mais maintenant c'est trop tard pour le programmer. La dame de chez Google Maps fait d'ailleurs très bien le travail toute seule, sans s'énerver: Tournez à gauche! Zut, j'étais sur la file de droite! Prenez la rue Rastapopoulos. C'est laquelle? Prenez à gauche, puis à droite, puis ... Je sens qu'elle va craquer. Mais non, elle essaie un autre truc: prenez la direction sud-ouest. Zut, où est le compas sur ce canot? La barre à 245.
Enfin, malgré les coups de klaxon et les bahuts qui nous frôlent à pleine vitesse, nous arrivons sains et saufs sans une égratignure à la carrosserie. Tout le monde se demande pourquoi Papi était si énervé, alors qu'il n'y avait vraiment pas de quoi. La preuve on est toujours en vie! Un petit coup d'ouzo plus tard dans un bistrot de la Plaka ( pour les ancêtres seulement, les jeunes, même majeurs, ne boivent jamais d'alcool. Tant mieux si c'est vraiment vrai.) et la vie commence à redevenir intéressante.
Le lendemain matin, départ à l'aube pour Delphes. Enfin l'aube c'était le projet. Avec les douches à rallonge pour les filles, et les valises entièrement vidées en vrac partout dans la chambre, ça prend un peu plus de temps que prévu. Après avoir assisté à la relève de la garde, de grands garçons qui font les guignols en jupette et chaussons à pompons, ce n'est pas avec ça qu'ils vont faire peur à Erdogan, nous prenons la route. A peine sortis d'Athènes, le téléphone sonne. Notre valise est retrouvée! Elle va être livrée à l'arrêt de bus à 13h30. Le haut parleur est mis et chacun est sommé d'arrêter de jacasser pour essayer de comprendre: OU? Et alors je crois comprendre. On ne devrait jamais croire. Je dis OK. Les autres ont compris 13h30, là tout le monde est d'accord. Après je me suis fait un film. Hier, j'ai donné à l'employée de l'aéroport notre itinéraire avec la liste des hôtels. Donc ils vont livrer à notre hôtel, sur une plage près de Delphes. Et un hôtel de plage peut très bien s'appeler l'hôtel Dolphin. Elle a dit à l'arrêt de bus Dolphin. Tout le monde est d'accord avec moi et personne ne pense à vérifier le nom de l'hôtel.
Heureusement j'ai deux cent kilomètres pour réfléchir. Il y a un truc qui me chagrine: pourquoi à l'arrêt de bus et pas à l'hôtel? Et là j'ai un éclair de lucidité. Bon Dieu, mais c'est bien sûr! En grec, Delphes se dit Delphi! C'est donc à Delphes que le jeu de piste nous conduit. Nous arrivons à 13h25. Le village de Delphes est tout petit. Sur la place il y a un petit bureau: BUS TICKETS. Gagné! Pas de place pour stationner et sens unique. Le temps de faire le tour et de se garer, il est 13h30. Le bureau est fermé. Juste à côté, il y a un resto avec une jolie terrasse ombragée sous les platanes. Le garçon nous informe que le car est passé à 13h. Je pense que nous ne retrouverons jamais ce bagage. On leur avait bien dit aux filles de ne jamais rien mettre en soute. A chaque fois il y a une galère. Et en plus, elles ont faim! Elles passeront d'ailleurs tout le voyage à avoir faim alors qu'elles se contentent de picorer quelques miettes au petit déjeuner.
Dès que nous sommes devenus ses clients en passant commande, le garçon commence à s'intéresser sérieusement à notre problème. Le téléphone grec est d'une redoutable efficacité. En cinq minutes il est parvenu à joindre le chauffeur du bus. Le sac est bien dans son coffre, il repasse à Delphes vers trois heures. Fin de nos emmerdements et début des vacances!
A partir de ce moment tout s'est passé à merveille. Nos jeunes ont été des anges. Je vous le raconterai dans les prochains épisodes.
Ce n'est qu'au retour que nous avons replongé dans les affres du transport aérien par temps de covid. Trois heures de queue à l'aéroport pour payer le droit de faire tester nos ados pas encore vaccinés. Le tableau d'affichage n'affiche que les vols qui sont déjà partis. Je demande le comptoir d'Air-France et on m'envoie chez Emirates, où les dames qui font la queue portent un voile noir et un masque bleu, une touche de couleur qui apporte un peu de fantaisie. Au comptoir d'Air-France après deux heures de queue (le temps de vérifier les pass sanitaires, ça n'avance pas vite) on nous envoie porte B07 (croiseur coulé). Porte B07, c'est l'avion pour Zurich. Une hôtesse nous dit que ça a dû changer et qu'il faut voir le tableau d'affichage. Mais le tableau d'affichage n'affiche que les avions déjà partis. Nous finissons par embarquer juste à l'heure, mais ce n'est pas grave car l'avion ne part pas à l'heure.
A Roissy, où nous arrivons en retard, avec une correspondance qui s'annonce sportive, soudain tout s'arrête. Juste un gros orage qui va tout bloquer pendant une heure et demie. Pas le droit de débarquer! Heureusement, l'avion de Brest est bloqué lui aussi. Et tard dans la nuit nous rendons nos merveilleux ados à leurs parents. Mission accomplie!