Journal de confinement (1)

Publié le par 7jardins

quelque part sur la Loire le 17 mars

quelque part sur la Loire le 17 mars

Lundi 16 mars

L’allocution du président nous surprend à 1400 km de la maison. Enfin ça ne nous surprend pas vraiment vu que cet après midi au bord du Verdon, un message d’ami bien informé nous avait prévenu de ce qui se préparait. Mais enfin ça fait un choc ! Partis pour une cure avec un couple d’amis dans deux camping-cars, traversant la France par le chemin des écoliers, nous avons appris vendredi la fermeture des commerces, samedi celle de la cure, mais trop tard, nous étions déjà presque arrivés. Avec quinze jours de vivres à bord, nous espérions encore pouvoir randonner en pleine nature en haute Provence, et patatras, voilà qu’il faut rentrer d’urgence.

 

 

 

Mardi 17 mars

Départ à l’aube. Hier soir nous avions déjà avancé de quelques dizaines de kilomètres pour être sur la grand route. L’autoroute est chargée entre Avignon et Lyon : beaucoup de camions et un bon nombre de camping-cars qui remontent vers le nord, Belges, Hollandais, Suédois et surtout beaucoup d’Allemands. C’est l’exode.

Après Lyon, c’est beaucoup plus calme.  En direction de Clermont-Ferrand, puis Tours, il n’y a guère plus que des camions et très peu de voitures. La nuit nous surprend un peu avant Tours et nous passons la nuit au bord de la Loire.

 

 

Mercredi 18 mars

Nous reprenons la route au petit matin. L’autoroute est déserte. Heureusement, parce qu’il y a un brouillard à couper au couteau. Nous croisons un semi-remorque couché dans le fossé (surpris par le brouillard) et un camion grue en train de le soulever. Avant Nantes, au péage, premier contrôle de gendarmerie. Un pandore sans masque et sans gants nous demande notre attestation. Devant notre incompréhension, il nous sermonne : «- Vous n’avez pas entendu le Président ? » Si on a entendu, il nous a bien dit que c’était la guerre, mais pas qu’il fallait un ausweiss pour rentrer à la maison. Comme je lui rétorque que nous n’avons pas d’imprimante pour produire le précieux formulaire qui nous auto-autorise à circuler, il m’affirme que le président a dit qu’on pouvait se le faire sur papier libre, ce que je m’empresse de faire sur une feuille de carnet.

Je ne sais pas quel est le dangereux imbécile (sans doute énarque) qui a imaginé ce stupide imprimé parfaitement inutile. Imaginez le tableau : un gendarme protégé uniquement par son képi vous fait baisser le carreau de votre habitacle où vous étiez jusque-là protégé des virus extérieurs. Il se penche et vous postillonne au visage : « - gendarmerie nationale ». Ensuite, il prend à mains nues le papier sur lequel vous avez craché vos microbes, y rajoute les siens avant de vous le rendre. Et cela toute la journée. N’est-ce pas une bonne méthode pour répandre le virus ? Et tout cela pour prouver quoi ? Que vous avez-vous-même rempli un papier qui ne prouve absolument rien. Bravo messieurs les ronds de cuir, votre amour du papier n’a d’égale que votre dangerosité.

Sur le bord de la voie express entre Nantes et Brest, nous remarquons beaucoup de camions stationnés sur la bande d’arrêt d’urgence. Nous comprendrons plus loin en constatant que les aires de repos sont fermées. Heureusement il y a peu de circulation, mais enfin c’est dangereux !         Nous arrivons enfin à domicile sains et saufs après avoir traversé des villes désertes et rencontré un autre contrôle, cette fois d’une police municipale pas beaucoup mieux protégée, où on ne nous laisse passer sans rien nous demander.

 

 

Jeudi 19 mars

Puisque je suis à la maison, je vais pouvoir m’occuper de mon jardin. Muni de mon autorisation en bonne et due forme, remplie au crayon pour pouvoir changer la date chaque jour et ainsi économiser le papier et sauver une forêt, je parcours les cent mètres de chemin de campagne parfaitement déserts qui me séparent de mon potager. En cochant la bonne case je fais un geste citoyen, je contribue à sauver des vies et surtout je m’évite des ennuis si je croise par mégarde un fourgon bleu. En temps de guerre on n’est jamais trop prudent.

Pour planter des pommes de terre, il va falloir préparer le terrain. Le carré désigné est abondamment paillé depuis presque deux ans. Mais le paillage n’a pas que des avantages. D’abord dessous la terre est gorgée d’eau. J’ai écarté le paillage hier soir, mais ça n’a pas encore beaucoup séché. Je commence à décompacter à la grelinette, mais je découvre bientôt un réseau serré de racines de chiendent. Pas de doutes, il va falloir employer la fourche-bêche. Il faut extraire ces satanées racines des grosses mottes de terre collante qui pèsent des tonnes. C’est long, c’est épuisant et ça n’avance pas.

L’après-midi, j’ai du mal à me redresser. Mon dos n’a pas aimé l’exercice du matin. J’affine au croc le peu de surface que j’ai bêché. C’est encore très grossier. Je creuse des sillons peu profonds et je plante cinq rangées de pommes de terre primeurs que je recouvre de compost bien mûr. Je butterai plus tard quand la terre aura séché.

 

Vendredi 20 mars

Ça y est, je suis vraiment confiné. Mon dos est totalement coincé. Je marche plié à l’équerre.

Je suis un peu inquiet pour l’approvisionnement en graines. Je n’ai pas fait mes achats de printemps et les boutiques sont fermées. Je peux commander sur internet, mais est-ce que la poste va continuer à fonctionner ? Je trie les restes de graines de l’année dernière. Je n’ai pas très confiance dans les paquets ouverts. Heureusement, il y a ces paquets avec deux sachets séparés. Généralement on en sème un et on oublie l’autre. Il en reste quelques-uns dont les dates de péremption ne sont pas dépassées. Je sème en terrine un peu de laitue à couper et en godets des oignons blancs, le tout laissé dans la serre.

Maintenant il me reste les bouquins que j’avais acheté au cas où je m’ennuierais à la cure. J’ai commencé « Tout le bleu du ciel » de Mélissa Da Costa. Passionnant, j’en ai déjà dévoré la moitié depuis hier soir.

Publié dans rêveries

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