Abbaye de Saint Mathieu
La légende dit que des marins bretons avaient dérobé en Egypte le crâne de Saint Mathieu. (A l'époque, c'était une pratique courante de voler des reliques et personne n'y trouvait à redire) En arrivant devant la Pointe Saint Mathieu, qui n'était alors que le cap Penn ar Bed, ils furent pris dans une effroyable tempête. Une vague plus forte que les autres menaçant de les jeter contre un récif, par une intervention divine fort à propos le roc s'ouvrit pour leur laisser le passage. Remis de leur trouille, nos marins prirent terre dans la première crique venue pour débarquer leur précieux larcin et conseillés par une voix divine le déposèrent au bout de la pointe.
Là-dessus arrive Saint Tanguy. Je vous raconterai un autre jour l'histoire de ce saint à la mode de Bretagne qui coupa (par erreur) la tête de sa soeur, qui fut obliger de la recoller pour lui expliquer sa bévue. Comme la pointe appartient à son grand-père, il va voir pépé pour lui demander le terrain et un peu d'argent pour construire une abbaye pour abriter la tête miraculeuse. A l'époque (nous sommes au VIème siècle, l'empire romain n'est mort que depuis vingt cinq ans et c'est Clovis qui règne chez les Francs. En Armorique, des boat people chassés de Grande-Bretagne par les Saxons viennent de fonder des petits royaumes indépendants qui deviendront la Bretagne), un monastère ne coûte pas cher : quelques cabanes couvertes en chaume, style soue à cochons et une petite, toute petite, église en pierre. Les plus riches ont une tour pour abriter quelques livres richement enluminés et de précieuses reliques. Les moines viendront de l'abbaye du Relecq, au pied des Monts d'Arrée, dont Tanguy est l'abbé.
Au XIIème siècle, les comtes de Léon, seigneurs du lieu, qui ont entendu parler du pélerinage de Saint Jacques de Compostelle, se disent qu'eux aussi, ils ont les reliques d'un apôtre et même d'un évangéliste. Au Moyen-âge, un pélerinage c'est le Jacques-Pote ! Alors on rédige de belles légendes, dont celle que je viens de vous conter, et de plus mirifiques encore comme celle de ces moines de Saint Mathieu qui auraient vogué vers l'ouest jusqu'à découvrir une terre merveilleuse (l'Amérique?)
Mais comme on n'attire pas les mouches avec du vinaigre, on construit une église monumentale et les bâtiments qui vont avec. Les templiers ont mis la main à la poche comme en témoignent les piliers octogonaux de la nef. L'affaire est juteuse un moment puisqu'une ville se développe à l'ombre du clocher.
Mais au XVIème siècle, les maudits anglais avec qui on était à peu près en paix tant qu'on était Bretons se mettent à nous faire la guerre maintenant qu'on est Français. Ils pillent l'abbaye, la brûlent et la ville avec, et la tête miraculeuse est perdue dans la bagarre. Et cette fois-ci pas d'intervention divine, le Bon Dieu en a marre : ces histoires de crâne, ça lui prend la tête !
Alors c'est la faillite, l'abbaye s'enfonce dans le déclin. Sur une tour, depuis le Moyen-âge les moines entretiennent un feu la nuit pour guider les navires. Louis XIV donne de l'argent pour construire une verrière qui abrite une grosse lampe à huile. Quand il n'y a plus d'argent pour acheter de l'huile, les moines écrivent à Versailles pour signaler que le feu est éteint. (On ne sait pas s'ils ont émis un avis aux navigateurs)
A la révolution, l'abbaye est vendue comme bien national. Quand le maire vient chercher les clefs, il n'y a plus que trois moines dans ce grand bâtiment. C'est un marchand de vin du Conquet qui achète l'édifice et qui commence à le démonter pour vendre les pierres. Quand en 1821, on commence la construction du phare moderne, ce seront tout naturellement les pierres de l'abbaye qui seront utilisées.
Aujourd'hui, l'abbaye est classée, protégée, consolidée. Dans ce squelette de pierre, où le vent rugit les nuits de tempête, le chant des oiseaux a remplacé le choeur des moines. Et , ironie de l'histoire, on a fait partir de Saint Mathieu une route de Pélerinage vers Saint Jacques de Compostelle.